Quels sont les principaux risques pour les mécaniciens ?

Patrice Julé : Il faut bien comprendre que l'on part d'une base élevée des années de reprise 2021/2022. Le contexte inflationniste et le niveau des taux d'intérêt, dont on attendait une baisse plus significative pèsent toujours sur les entreprises, tout comme le coût des salaires. La baisse du chiffre d'affaires et des marges rejaillit directement sur la performance des entreprises. Par ailleurs, on constate un ralentissement de la demande et des investissements, ce qui est pénalisant pour le futur. Quant aux mesures protectionnistes dans le monde, elles peuvent avoir des effets positifs ou négatifs suivant que l'entreprise est importatrice ou exportatrice. Le problème pour les chefs d'entreprise, c'est le manque de visibilité.

Pour autant, le paysage sectoriel n'est pas uniforme : même si certains secteurs sont en grande difficulté, à commencer par la construction individuelle ou le textile, d'autres amorcent une transition compliquée à l'image de l'automobile, d'autres encore sont résilients, tels que l'électronique ou l'agroalimentaire. De leurs côtés, l'aéronautique et le transport aérien retrouvent un fort niveau d'activité.

Frédéric Wissocq : Les principaux risques sont liés à la recomposition du monde. On passe du « doux commerce », cher à l'économiste Ricardo, dans lequel tout était intégré avec une logique de libre-échange, au retour du politique et de la logique de blocs amplifiée par des événements comme le Covid ou la guerre en Ukraine. L'Europe est restée dans sa logique de « doux commerce » avec une certaine naïveté et se retrouve entre le marteau et l'enclume, les deux autres blocs (les Etats-Unis et la Chine) adoptant une politique plus interventionniste.

La principale menace pour l'Europe, c'est que son industrie doit affronter d'un côté la surcapacité et les subventions chinoises, et de l'autre les subventions américaines et le faible coût de l'énergie aux Etats-Unis. Avec à la clé, un risque de voir s'accélérer la désindustrialisation du Vieux-Continent.

 

Comment évoluent la trésorerie et la capacité d'autofinancement indispensables pour permettre aux mécaniciens d'investir ?

FW : Lors de crises, une forte baisse d'activité peut paradoxalement avoir un impact positif sur la trésorerie en allégeant les besoins de fonds de roulement. Mais cet effet de bord ne fonctionne qu'à court terme. Sur le long terme, moins d'activité signifie moins de résultat et donc moins de cash. La croissance molle que nous connaissons en France depuis des mois, associée à un renchérissement des frais financiers et aux revalorisations salariales, finit par peser sur la génération de cash.

PJ : Le volume de créances affacturé dépend des besoins de trésorerie des entreprises et du chiffre d'affaires, qui dépend lui-même des prix et du volume. On constate des variations importantes suivant les secteurs. Par exemple, dans les activités de la métallurgie liées à la construction, on voit des niveaux d'activité 2023 avec des baisses de 50 %. Certains industriels affrontent des chocs importants, même si en moyenne, la situation de la trésorerie des entreprises est plutôt bonne (impact positif à court-terme des besoins en fonds de roulement et des prix de l'énergie)

 

Comment se comportent les grandes filières industrielles ?

FW : À l'image de la météo automnale, le paysage global reste très contrasté avec quelques améliorations notables comme l'informatique et les télécoms. Le transport aérien a retrouvé ses niveaux pré-covid beaucoup plus rapidement que ce que tout le monde prévoyait. Le transport maritime se tient bien, avec des prix de fret à la hausse en particulier en raison des événements géopolitiques en Mer Rouge et de l'engorgement des ports asiatiques

PJ : L'important, c'est de regarder la chaîne de valeur complète. L'agroalimentaire a bien encaissé le choc de la hausse du prix des matières premières, même si l'industrie de la viande et du poisson sont victimes de l'arbitrage des consommateurs.

Dans l'automobile, les constructeurs et les équipementiers de rang 1 dégagent des marges encore satisfaisantes, ce qui n'est pas le cas de la distribution.

Dans certains autres secteurs, ce n'est pas tant la question du carnet de commande qui pose problème mais son exécution, son financement et la profitabilité.

À noter également dans le nucléaire, le redressement salutaire de sociétés qui portent le savoir-faire français dans ce domaine.

 

Quel est l'impact du coût de l'énergie sur les industriels ?

FW : C'est le principal risque pour l'Europe par rapport aux Etats-Unis. On le voit bien en Allemagne, dont l'industrie ne bénéficie plus de l'énergie à bas prix que lui procurait le gaz russe et qui perd en compétitivité par rapport à une industrie américaine ayant, elle, accès à une énergie locale abondante et bon marché. Plus généralement, si les prix de l'énergie se sont assagis par rapport à 2022, il ne faut pas oublier que le prix du pétrole, le prix de base énergétique, surréagit toujours aux événements géopolitiques. À cet égard la crise au Moyen-Orient est très inquiétante.

PJ : La fin du dispositif Arenh*, qui a soutenu efficacement de nombreuses filières, risque d'être très pénalisant pour les industriels français. L'Etat en est bien conscient et travaille ardemment pour trouver des solutions.

FW : L'énergie pas chère, c'était l'énergie carbonée. Avec la transition énergétique, il ne faut pas se faire d'illusions, les coûts énergétiques seront durablement élevés. En France, le fait que le nucléaire soit de nouveau considéré comme une énergie verte pourrait favoriser nos industriels.

 

Existe-t-il un risque fournisseur ?

FW : Oui et il ne faut pas le sous-estimer. J'ai en tête un très grand client dans l'automobile qui, par curiosité a consulté notre base Business Information et a eu quelques sueurs froides en constatant les mauvaises notes de certains de ses fournisseurs sur des pièces stratégiques.

 

Quel regard portez-vous sur l'augmentation des défaillances d'entreprise ?

 FW : La remontée des défaillances concerne jusqu'à présent essentiellement de petites entreprises, cette fréquence touchant surtout la construction et les services. L'industrie reste encore aujourd'hui résiliente.

Mais depuis fin 2023 et dans tous les pays européens, on constate un niveau supérieur à celui de 2019 et l'on revoit ce que nous appelons des « sinistres de pointe » qui concernent des entreprises de taille significative avec un coût social et économique important.

 

* Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique

 

Contact :
Antoine Alopeau
SOFITECH/CEMECA